Les Loomis et les Borrows, deux riches familles habitant à la frontière mexicaine, se livrent une guerre sans pitié depuis de nombreuses années afin d'acquérir le plus grand nombre de parcelles cultivables. 

     Estafina Loomis, qui avait quitté les affaires familiales depuis plusieurs années, revient pour se marier dans la petite église de son village d'enfance. 

     Elle va rapidement devoir faire face à un secret de famille dévoilé qui va bouleverser sa vie, à des meurtres dans son entourage proche et au fantôme d'une fillette venue réclamer vengeance. 

     Estafina pensait passer un séjour paradisiaque, elle va en connaître un cauchemardesque.

 

 

 

412 pages.

17 euros.


Chapt 1.

        Estafina revenait dans la ville qu’elle avait quittée des années plus tôt pour se marier dans la même église que ses parents. Elle roulait sur les longues routes désertes menant à sa ville natale, l’un des derniers endroits avant le Mexique, encore habité. Elle revoyait ces lieux, avec ses rues étroites et ses dalles posées à même le sol sablonneux. Une ville comme tant d’autres non loin de la frontière, avec son lot de malheur et de désespoir pour certains et d’opulence pour d’autres. Elle avait les mains moites et ressentait comme un frisson le long de son dos. Pourtant, elle connaissait bien cette ville, elle y était née et sa famille y vivait depuis des générations, mais pourtant, elle ressentait toujours la même chose lorsqu’elle venait y passer quelques jours chaque année dans l’hacienda de sa famille.      C’était plus une habitude qu’une envie, car elle n’avait jamais vraiment aimé cet endroit. Pourtant, elle voulait honorer la promesse faite à sa mère alors qu’elle n’était encore qu’une adolescente… Se marier dans la même petite église que ses parents ! Elle voyait de tant à autre sa jeune sœur qui voyageait pour affaire et passait à New York pour la voir.

     Cela ne durait jamais bien longtemps, mais cela apportait un peu de bonheur à chacune d’entre elles. Cette ville lui rappelait surtout des mauvais moments plus que de bons. Le décès de sa mère, morte dans des circonstances troubles alors qu’elle n’était encore qu’une enfant et que l’argent de la famille avait aidé à faire refermer le dossier rapidement, puis celle de son jeune frère, adolescent comme elle, à l’époque, mort dans un accident de scooter, renversé par un ivrogne. Chaque fois qu’elle revenait, les souvenirs l’assaillaient, lui martelant le crâne, rouvrant des blessures que le temps et la vie s’exerçaient à guérir. Elle ne comptait plus les heures qu’elle avait passées dans le cimetière, assise sur la tombe ou agenouillée devant, pleurant, se demandant pourquoi Dieu avait rappelé près de lui des êtres aussi bons alors que de véritables ordures se baladaient tranquillement. Tout en repensant à cela, elle se surprit à faire glisser entre ses doigts, le crucifix que sa mère lui avait offert à sa communion et qui ne l’avait jamais quitté. Elle était persuadée que la mort de sa mère n’était pas naturelle, et elle en était venue même à suspecter son père durant quelque temps, en voyant l’acharnement qu’il avait pris à faire fermer le dossier en distribuant de l’argent aux bonnes personnes. Même le prêtre ne voulait pas l’enterrer, persuadé de son suicide, mais une liasse de billets l’avait fait changer d’avis.

     L’argent achète tout et n’importe qui, la seule question à se poser, était quelle somme fallait-il débourser pour avoir ou obtenir ce que l’on voulait.

     Estafina sursauta en entendant un klaxon retentir à plusieurs reprises. Elle vit que, pendant que ses pensées la submergeaient, sa voiture s’était dangereusement décalée sur la voie venant en sens inverse. Elle braqua d’un coup, manquant de perdre le contrôle de son véhicule qu’elle arriva finalement à maîtriser après quelques mètres. Désormais, Estafina était plus vieille que sa mère, morte à 40 ans. Avec ses 41 ans, elle devenait la femme de la famille Loomis la plus âgée… À 41 ans ! Il y avait bien sûr d’autres femmes plus vieilles qu’elle qui vivaient dans l’hacienda, mais elles ne portaient pas le nom de Loomis. Après elle, il n’y avait plus que Jodie, sa jeune sœur qui serait bientôt la dernière à porter ce nom une fois qu’Estafina serait mariée.

Elle appuya sur la pédale d’accélérateur, chassant la poussière sur la route. « Du vent et de la poussière », c’est ainsi que la décrivait sa mère lorsqu’elle parlait de sa ville. Elle était déjà venue il y a deux mois, pour la date « anniversaire » de la mort de sa mère avant de revenir dans trois mois pour la date de la mort de son frère. C'étaient les deux raisons qui la poussaient à revenir dans cette ville et c’est pourtant là qu’elle allait épouser l’homme qu’elle aimait.

     Mais là encore, une nouvelle épreuve l’attendait. Son père et sa sœur n’étaient pas au courant pour son mariage, elle avait tenu à le garder secret pour plusieurs raisons. Estafina avait donné comme excuse, pour elle venir, qu’elle avait eu plusieurs jours de repos et qu’elle avait désiré les passer près de sa famille. La seule chose qu’elle avait demandée, en apprenant qu’un dîner allait être organisé pour sa visite, fut que le docteur Stan Devon ne fut pas présent, même s'il était un ami de la famille de longue date. Toujours à lui parler lentement comme s'il la prenait pour une attardée ayant du mal à comprendre chacun de ses mots.

Pourtant, le docteur Devon lui avait été d’une aide précieuse au moment de la mort de sa mère, lorsqu’elle n’avait que quinze ans. Elle avait sombré dans une forme de catatonie, refusant tout contact avec les autres et même avec la vie, restant enfermée toute la journée dans sa chambre avec une photo de sa mère collée contre elle. Estafina ne voulait plus parler à personne, même pas à son frère Jeff et refusait également de les voir si ce n’est sa jeune sœur, Jodie, sans doute du fait qu’elle se sentait très proche d’elle. Elle était restée ainsi des semaines avant que son père Douglas fît appel au docteur Devon, un psychiatre venu faire une conférence à Washington, au moment où Douglas y était pour faire des affaires.

     Il avait parlé de longues heures avec lui et n’avait pas hésité à lui donner de l’argent pour qu’il vienne s’occuper de sa fille.

La journée, Estafina ne parlait pas, gardant les yeux dans le vague et la nuit, son sommeil était peuplé de cauchemars, la faisant hurler. Son père avait même envisagé de la faire interner, loin de cette ville bien sûr, pour ne pas ternir la réputation de la famille. Le docteur Devon était la dernière chance qu’il donnait à sa fille. Douglas avait même préparé une pièce dans l’hacienda pour qu’il puisse y venir faire ses séances avec sa fille. De longues, très longues séances composées de dialogues, de dessins et de méditations. Avec le temps qui passait, son état s’améliorait. Elle s’était remise à parler, mais Estafina trouvait que le docteur Devon devenait un peu trop familier, n’hésitant pas à lui poser une main sur la cuisse durant les séances, même si à chaque fois, elle la lui ôtait. Elle avait parlé de ces familiarités avec son père, mais lorsque celui-ci en avait discuté avec le docteur, il lui avait dit qu’il ne s’agissait rien d’autre que d’un geste d’amitié mais que si cela la gênait, il arrêterait. En effet, il avait cessé ce geste pour d’autres, pas moins anodins. Lui massant les épaules, s’approchant de son visage, se frôlant à elle à chaque occasion. Une fois, elle sentit la main du docteur lui frôler les fesses, elle se retourna brusquement et le gifla.

Depuis ce jour, Estafina exigea qu’une autre personne se trouve avec elle durant ces séances.

Et cela même si le docteur n’était pas d'accord, car il disait que ce qui se passait lors de ces consultations était confidentiel.

Douglas n’arriva pas à convaincre sa fille de changer d’avis et la collaboration du docteur Devon s’arrêta là, même si celui-ci resta un ami de la famille. Estafina vit une autre thérapeute, Robin Olsow, une femme d’une cinquantaine d'années avec qui elle lia une complicité non feinte. Son état s’améliora rapidement, même si elle continua les séances de longs mois qui se transformèrent en années. Le temps passa et son père rencontra une autre femme, qui désormais habitait dans la maison familiale. C’était sans doute l’une des raisons pour laquelle Estafina ne venait que si rarement. Ce n’est pas qu’elle ne s’entendait pas avec Angela Buffort, vingt-cinq ans de moins que Douglas, mais elle la soupçonnait d’en vouloir à l’héritage familial. Avait-elle tort ? Le fait est que depuis qu’ils se connaissaient, Douglas avait vendu de nombreuses actions qu’il possédait afin de couvrir les frais que lui coûtait cette liaison. Lorsque Estafina et Jodie lui firent remarquer, il leur promit des donations dans son testament pour qu'on ne lui reproche pas de délaisser ses filles au profit de sa nouvelle compagne. Angela n’avait pas apprécié les dires des filles de Douglas, mais elles s’en moquaient bien.  

Jodie, qui était maintenant responsable des affaires familiales, gardait un œil sur les dépenses.

 

Estafina prit l’embranchement menant à l’hacienda de ses parents, passant devant le cimetière. Celui-ci était encore fermé et elle se promit d’y passer plus tard. Elle appuya sur l’accélérateur, sentant le vent sur son visage.

Elle était bientôt arrivée, plus qu’une dizaine de kilomètres et elle arriverait devant le grand portail du terrain appartenant à sa famille. Celle-ci avait fait fortune dans la culture du maïs et désormais elle étendait son empire sur le piment et l’avocat. Estafina n’avait que peu participé aux affaires familiales, c’était surtout sa sœur qui s’était impliquée, elle, elle avait préféré se tournait vers la littérature. Elle avait écrit quelques romans qui étaient passés inaperçus puis, enfin, elle connut le succès en écrivant un livre sur une histoire de rivalité entre deux clans d’éleveurs de bétail, prenant exemple sur la rivalité que sa famille avait avec les Borrows, une autre dynastie qui faisait le même type d’agriculture qu’eux, et qui s’accusaient mutuellement des malheurs leur arrivant à l’un ou à l’autre.

     Estafina était presque arrivée, mais alors qu’elle prenait le tournant la menant à la petite route privée conduisant directement à l’hacienda, elle vit une petite fille au milieu de la route. Elle écrasa le frein, puis braqua un coup sec pour éviter la fillette, envoyant sa voiture contre la barrière.

     Le choc provoqua une gerbe d’étincelles et Estafina perdit le contrôle de sa voiture.

Elle traversa la route avant de défoncer la barrière de protection et de finir dans le sable où sa voiture s’immobilisa enfin. À moitié encore groggy du choc et ressentant une douleur à la poitrine due à la ceinture de sécurité, elle sortit, titubante, à la recherche de la fillette, priant pour qu’elle ait pu l’éviter.

     Ne voyant aucun corps, elle se mit à crier pour lui dire de sortir, qu’elle n’avait plus rien à craindre, mais personne ne répondit. Estafina chercha encore durant une demi-heure, n’hésitant pas à s’éloigner du véhicule pour augmenter la distance de ses recherches, avant de devoir admettre, avec soulagement, que la petite fille avait dû avoir, elle aussi, la peur de sa vie et qu’elle s’était certainement enfuie en courant sans demander son reste.

 

     Elle s’appuya contre sa voiture, tentant de reprendre son souffle. Estafina sortit son portable de son sac à main dont le contenu s’était renversé sur le sol et vit que l’écran était fendu. Elle tenta de le faire fonctionner, mais il n’y avait pas de réseau. Elle regarda tout autour d’elle… Aucune voiture n’était visible dans un sens ou dans l’autre. Estafina ouvrit son coffre puis prit une bouteille d’eau qui s’y trouvait, passa son sac à main autour de son épaule et commença à marcher en direction de l’hacienda.